Mauritanie, bras de fer entre le pouvoir et les militants antiesclavagistes

Biram

Politique – Par La rédaction de “Mondafrique” – Publié le 26 Fév, 2015

Le président du mouvement de lutte contre l’esclavage “IRA France-Mauritanie” Jean-Marc Pelenc dénonce l’incarcération de militants anti-esclavagistes mauritaniens et le silence de la France.

En novembre dernier, plus de dix personnes ont été arrêtées alors qu’elles participaient à une “caravane” contre l’esclavage dans le sud ouest du pays destinée à sensibilser les populations sur leur droit à disposer de leur terre. Alors que dix d’entre elles sont toujours emprisonnées à Nouakchott, trois autres, Brahim Bilal Ramdam (Vice Président de l’IRA), Jibril Mammadou Sow (ONG Kawtal) et Biram Dah Abeid, grande figure du mouvement abolitionniste sont incarcérés à Aleg, dans le centre du pays où ils doivent purger deux ans de prison fermes. Comme ils l’avaient annoncé dans la “lettre de protestation” qu’ils avaient fait parvenir au Procureur de la République de la Wilaya du Brakna, datée du 12 février 2015, les prisonniers ont entammé, lundi 23 février une grève de la faim.

 

Droits bafoués

 

Les revendications portent sur la réintégration de leur juridiction à savoir Nouakchott/Rosso, le rétablissement de leurs droits à la visite de leurs proches, la programmation des procès de leurs frères injustement et abusivement détenus au sein des prisons de Nouakchott. Encore beaucoup, beaucoup de choses, ici, à publier, dire, évoquer. Nous alertons depuis novembre 2014 le dictateur/président Mohamed Ould Abdelaziz contre les mauvais traitements que subissent les prisonniers. Biram et ses deux amis, à Aleg, dans la plus sinistre des prisons, ne voient jamais le jour, Leïla, la femme de Biram n’a plus accès aux visites. Aucune date n’est prononcée quant à un “éventuel” procès. Le 15 décembre 2014, une résolution officielle (et à l’unanimité) du Parlement Européen a été votée demandant la libération immédiate et sans condition de Biram et de ses amis. Nous utilisons le site de Biram, www.biramdahabeid.org, pour publier très régulièrement des messages de soutien et des comptes rendus de la situation.

 

La France ferme les yeux

 

Les antennes d’IRA en Belgique, Suisse, Canada, Italie, USA, Grande Bretagne, Allemagne sont toutes mobilisées. Le ministère des Affaires étrangères français, malgré nos alertes depuis 3 mois et 11 jours, ne nous a donné aucun signe de “partenariat”. No comment. Lors de sa publication en date du 7 janvier 2015 (sic), Charlie Hebdo, oui ce jour même, publiait une double page consacrée à Biram, tout comme l’Obs dans son numéro du 4 au 10 décembre 2014 sous le titre “Esclavage, le Spartacus mauritanien”. La triple peine subie par les harratines en Mauritanie (50% de la population mauritanienne, sans aucune repésentation gouvernementale, aucune place dans aucune administration) est insupportable : noirs, Harratines, eux mêmes majoritairement descendants d’esclaves.

 

Biram, lauréat du prix de l’ONU 2013 des Droits de l’Homme, harratine, arrière-petit-fils d’esclave affranchi, n’a jamais cessé d’alerter la Communauté Internationale sur l’existence, au XXIe siècle, de l’esclavage, malgré une loi datant de 2009 le criminalisant. Biram et ses amis, à ce jour, mettent dramatiquement et leur vie et leur combat en sommeil. Sissako sous les feux de la rampe, bien soutenu par le pouvoir mauritanien en place, peut fêter ses Césars… lui dehors, certes, mais Spartacus le regarde et le regardera, longtemps, très longtemps. Il est dedans, sans soleil Biram. Nous sommes dehors, très nombreux messieurs Aziz et Sissako.

 

Depuis l’arrestation et l’emprisonnement des militants anti-esclavagistes, les associations tentent de mobiliser la communauté internationale. Dans un entretien à Mondafrique, Diko Hanoune, secrétaire général de l’Association des Haratines de Mauritanie en Europe (AHME) dénonce le silence des autorités françaises.

Mondafrique. Pour quels motifs les militants abolitionnistes mauritaniens ont-ils été incarcérés en novembre dernier ?  

 

Diko Hanoune. Ils ont été arrêtés alors qu’ils parcouraient le sud-ouest du pays dans le cadre d’une “caravane anti-esclavagiste” destinée à sensibiliser les populations sur la nécessité d’une réforme agraire en faveur des anciens esclaves qui sont encore aujourd’hui victimes de discriminations et dépossédés de leurs terres. En général ceux qui travaillent la terre se retrouvent obligés de se plier à la volonté des maîtres, sous peine d’être renvoyés. Dix personnes ont été arrêtés pour « appartenance à une organisation non reconnue » et « rassemblement non autorisé ». Depuis le 15 janvier, trois d’entre eux dont le leader de l’IRA, Biram, sont condamnés à deux ans de prison ferme à la suite d’une procédure judiciaire totalement biaisée. Même le juge qui était chargé du procès a été muté 48h avant d’être remplacé par un autre qui ne connaissait rien au dossier et qui a lu le texte de condamnation.

 

Mondafrique. De nombreuses ONG comme Amnesty Internationale ou encore la FIDH se sont soulevées contre cette décision. Le bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme en Mauritanie a même dénoncé la fermeture du siège de l’IRA à Nouakchott comme le résultat d’« une application arbitraire de la loi ». En France, c’est silence radio.

 

D. H. En France, le sujet est rarement porté sur le devant de la scène pour des raisons économiques et stratégiques. La Mauritanie fait traditionnellement partie du pré carré français et représente d’importants intérêts pour l’ancienne métropole qui reste à ce jour le premier partenaire économique et financier du pays. Elle exploite des ressources minières, notamment le fer présent en grande quantité dans les sous-sols. La France a par ailleurs une responsabilité historique dans ce phénomène puisque l’administration coloniale s’est longtemps appuyée sur les grandes familles maures pour imposer son autorité. De multiples arrangements ont été conclus à l’époque certifiant aux maures que la pratique de l’esclavage ne serait pas interdite en échange de leur acceptation de la colonisation.

 

La France a par ailleurs tout intérêt à garder de bonnes relations avec le pouvoir actuel car la Mauritanie constitue un important allié francophone dans la sous-région et lors des votes aux Nations Unies. Enfin, les français présentent Aziz comme un allié privilégié dans la lutte contre le terrorisme au Sahel. Mais ce ne sont que des discours. Aziz joue un double jeu avec les islamistes et le parti des frères musulmans Tawassoul qu’il a aidé à devenir un opposant de poids. Cela lui permet de se rendre indispensable aux yeux des occidentaux contre la menace islamiste. Or, en interne, il entretient une vision de l’islam totalement rétrograde. C’est le régime d’Aziz qui, par exemple, a poussé les imams influents du pays à condamner les propos jugés blasphématoires du jeune homme de 29 ans qui a été condmané à mort pour apostasie au début de l’année. Enfin, comment peut-on le présenter comme un appui militaire alors qu’il a refusé d’envoyer des troupes au Mali aux côtés de l’armée française ?

 

Mondafrique. Le président de l’IRA, Biram Dah Abeid qui est une grande figure de la lutte contre l’esclavage a fait plusieurs séjours en France. Est-il reçu par les officiels français ? 

 

D. H. Biram est reçu de temps en temps par certains élus. Mais toujours en privé, jamais de manière officielle. Dans d’autres pays occidentaux il rencontre plus facilement des responsables politiques de haut rang comme en Italie par exemple. En 2013, il s’est même vu décerné le prix de l’ONU pour les droits de l’homme. En France c’est radical, soit vous êtes avec le régime, soit vous n’avez pas vraiment voix au chapitre. Mis à part auprès de l’ambassadeur français en Mauritanie qui est obligé de recevoir tout le monde par principe.

 

Nous-mêmes avons du mal à nous faire entendre en France. Quand nous étions intervenu à l’Assemblée nationale il y a deux ans, la grande majorité des députés sont partis avant la fin. J’ai par ailleurs moi-même fait parvenir un courrier à Laurent Fabius peu après les arrestations des militants dans le sud-ouest du pays. Je n’ai jamais eu de réponse.

 

Source : http://mondafrique.com/lire/politique/2015/02/26/esclavage

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