Note d’alerte, Mauritanie : l’armée tue encore : bavure ou ligne politique ?

Lors de la soirée du 28 mai 2020, Abass Hamadi Diallo, né en 1986, à Dabano, près de Wending, dans le département de Mbagne, accompagnait son neveu et un commerçant qui sollicitaient son aide au transport de leurs marchandises, du village vers la rive du fleuve Sénégal; au titre des mesures de sécurisation des frontières, contre les risques d’infiltration du Covid-19, une patrouille militaire les surprit, à l’œuvre de la contrebande. Le groupe tente de s’échapper, sans doute en souvenir des tueries racistes de 1989-1991 dont la région garde le traumatisme. Lors de la fuite, Abass est atteint d’un tir d’arme à feu, au travers de la poitrine et en décède.

Le déni

Le lendemain, un communiqué de l’Etat-major général des armées, tel qu’affiché sur la page de l’Agence mauritanienne d’information (Ami), évoque un passeur arrêté, des fugitifs et une mort accidentelle, à cause d’une « balle de sommation ». La victime y est décrite comme un récidiviste, en conflit avec la loi et condamné. Le texte plaide la thèse de la bavure mais justifie le meurtre, suggérant le lien de cause à effet, entre le présumé passé de délinquant et son élimination physique. D’ailleurs, la déclaration se contredit : le civil désarmé aurait menacé un agent de la force publique, qui plus est porteur d’un outil létal. En somme, feu Abass Hamadi Diallo payerait, selon le décret du hasard, le prix de sa rébellion au droit.  Il est assez effrayant, du point de vue de la morale et de la compétence, que les services de communication du ministère de la Défense osent servir, à l’opinion, un tel niveau de cynisme. Compte tenu de la mémoire des massacres ethniques auxquels les lois et la pratique confèrent l’impunité en Mauritanie, il fallait des mots de prudence et de compassion et l’engagement à diligenter une enquête neutre, pour rendre justice.

 

La maladresse

 

Le 30 mai, les autorités dépêchent une délégation, auprès des villageois et de la famille du défunt, afin de leur remettre, en guise de dédommagement, la somme d’un million d’ouguiya anciennes (2500 euros). Preuve de la stupéfaction et de l’indignation suscités par le geste, la chefferie et les ayant-droits rejettent l’offre. Alors, le préfet remet le montant, à Assane Seck, maire de Mbagne.  Pourtant, de son propre aveu, ce dernier informait le ministère de l’Intérieur, de l’ampleur du mécontentement au sein d’une population, soucieuse d’éviter la contagion de la pandémie. Déjà, le 18 mai, des jeunes de Wending, mobilisés en faveur de l’interdiction d’accès au territoire, se retrouvent détenus, durant 4 jours dans la ville d’Aleg et comparaissent devant un magistrat. Ils subissent la pression et la menace parce qu’ils dénonçaient, y compris grâce aux réseaux sociaux, la complicité de soldats et commerçants clandestins. Hélas, l’avertissement ne retiendra l’attention requise.

 

Une vieille habitude

 

Il convient de souligner, ici, les nombreux précédents d’homicide de noirs – citoyens et d’étrangers – soit au cours d’une manifestation pacifique soit lors d’un contrôle de police ou de gendarmerie. Certains finissaient leurs jours, quelques heures après le placement préventif dans un commissariat de police. La même histoire se répète car, de facto, la vie d’un kowri ou d’un hartani, tous d’ascendance subsaharienne, revêt une valeur relative en République islamique de Mauritanie, le seul pays de la région où le Directeur général de la sûreté nationale (Dgsn), le Général Mohamed Ould Meguett – et bien d’autres officiers et fonctionnaires de la haute administration – figurent sur la liste des tortionnaires pendant les années de plomb ; aucun juge ne les a jamais interrogés. Le sort de Abass Hamadi Diallo vient le rappeler au oublieux, la loi d’amnistie de 1993, ne couvre plus seulement les crimes d’hier mais exempte, de poursuite, les bouchers de demain. Son maintien constitue un gage d’immunité et un permis de ségrégation. En plus des nominations discriminatoires dans l’appareil d’Etat, la banalité du négrocide doit cesser. Il est plus que temps de remettre la force légitime au service d’une gouvernance de la redevabilité et de la transparence. Rendre compte relève du minimum, en matière de normalité politique.

Jusqu’à quand ?

A présent, si la Mauritanie prétend devenir un Etat de droit, le gouvernement faillirait gravement à esquiver l’obligation éthique de réclamer et de publier la vérité, avant d’appliquer une sanction qui fait sens, répare et dissuade. Le Colonel Abdallah Ould Hadi, commandant de la 7ème région militaire et son subordonné le Lieutenant- colonel Elghassem Ould Abdella, du sous-groupement 71 savent qui a tiré et pourquoi. Ils n’ignorent, non plus, l’identité des hommes en uniforme, auteurs ou receleurs de trafic transfrontalier.

 

Initiative de Résurgence du mouvement Abolitionniste en Mauritanie (Ira-M)

Nouakchott, le 31 mai 2020

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