Accaparement des terres : Une situation préoccupante

Terres_agricoles_0144

Le Calame – Dans un pays où la souveraineté, voire la sécurité alimentaire, reste encore une chimère, on peut parler d’un gâchis par rapport à la situation des terres agricoles.

Sur un potentiel estimé à 450 000 hectares, près de 200 000 hectares ne sont pas mises en valeur. En dépit de la règlementation des attributions foncières que gère l’Etat, elles ne font l’objet, en général, que de spéculations.

Dans les faits, le foncier, en Mauritanie, demeure au centre d’enjeux multiples depuis les années 1980. «Y convergent tous les impératifs nationaux de respect et de consécration des droits humains, de consolidation de l’unité nationale, de renforcement de la cohésion sociale, de promotion de la femme, de gouvernance et de libération des énergies, dans un secteur agricole qui fait vivre plus des deux tiers de la population», constate Sarr Mamadou Moctar, secrétaire exécutif du Forum des Organisations des droits humains (Fonadh), principal initiateur des concertations entre le monde rural et les autorités.

Cette situation se traduit par un désarroi pour «des centaines de milliers dʼhommes, de femmes et de jeunes, issus de groupes agro-pastoraux, (qui) voient leur subsistance de plus en plus menacée», se désole M. Sarr, pour qui «la gouvernance foncière n’est pas plus soucieuse de sécuriser les terres indispensables aux petits cultivateurs que les espaces pastoraux pour leurs homologues pastoraux». Secrétaire général de l’Ong Kawtaal n’gam Yellitaaré, en pointe dans le combat contre la spoliation des terres, Ba Amadou Alpha, y voit même une flagrante injustice sociale qui risque de mener à une situation explosive.

Pour lui, la gestion foncière actuelle « ne respecte ni les lois existantes ni l’intérêt national, encore moins l’expérience des tenures traditionnelles, voire surtout, les intérêts des paysans, principaux acteurs économiques en ce domaine. Notre potentiel agricole ne profite qu’à l’agro-business étranger, via de faux acteurs économiques qui ne travaillent pas la terre, juste objet de spéculations financières pour eux. La facilitation récente de la régularisation des titres fonciers n’est qu’un leurre. Elle ne vise qu’à accentuer la légitimation des propriétés usurpées aux profits de délinquants en col blanc», déplore M. Ba.

La problématique de l’accaparement n’est pas uniquement économique. Elle est sociétale. Les ex-propriations foncières ne visent que les terres contrôlées, depuis des siècles voire des millénaires, par les Noirs du pays, négro-africains et haratines, toujours au profit de la couche arabe beydane (maures blancs) du pays. «Une question fondamentale qui risque devenir le principal motif de remise en cause de la construction, toujours en difficulté de gestation, d’un Etat unitaire», prévient M. Ba.

Extension du monopole

Les terres constituent donc un enjeu majeur. Sarr Mamadou ne pense pas qu’à court terme cette situation de monopole puisse connaître une rupture. Selon lui, elle devrait, au contraire, s’amplifier, compte tenu du contexte actuel. «Depuis 2010, l’attribution des terres agricoles (terres de cultures sous pluie et de décrue) s’est accélérée. Cette année-là, le gouvernement mauritanien avait envisagé d’attribuer 50 500 hectares à une société saoudienne, Tabouk Eziraiya Errajihii, couvrant diverses parties des communes de Boghé, Dar el Avia, Ould Birome et Dar el Barka.

Cette décision fut suspendue, grâce à la mobilisation des populations des communes concernées, soutenues par des organisations de la société civile mauritanienne. Mais, en 2013, 50 000 hectares, au Trarza, et 31 000, au Brakna, dans les communes de Dar el Avia, Ould Birome et Dar el Barka, furent alloués au profit d’une autre société saoudienne, Al-Rajihi, sous forme de bail emphytéotique. Des études topographiques réalisées par les autorités laissent entrevoir de possibles attributions de terres dans d’autres départements ».

M. Ba juge que «la logique domaniale actuelle et le monopole étatique sont le fait exclusivement d’un pouvoir despotique. Il faut que les Mauritaniens, dans toute leur diversité ethnique et sociale, comprennent que seule la lutte en commun contre les discriminations, pour la transparence, la justice et la démocratie peuvent sauver ce pays du chaos vers lequel il se dirige inéluctablement, si rien de contraire ne s’y oppose ».

Il pense que les mentalités évoluent, lentement mais sûrement, vers la nécessité du renversement de l’ordre établi. Il reste à évaluer les conséquences désastreuses de l’accaparement des terres. Tant sur les relations entre l’Etat et les populations rurales que sur l’environnement.

En Mauritanie, signale Ba, « les terres cultivables ne couvrent pas 0,5% du territoire ».
L’essentiel des activités agricoles se situe dans la Vallée du fleuve Sénégal où sont concentrées les populations noires. Des communautés villageoises étouffent dans leur espace, au point de ne plus trouver où enterrer leurs morts. D’autres sont privées, par des exploitations de type latifundiaire, des couloirs de transhumance et des pâturages sur les terres qu’elles réservaient à cette fin, selon une répartition experte et fonctionnelle des zones rurales.

D’après Ba, l’Etat n’a même pas la bonne âme de respecter un espace vital, si petit soit-il. Dans plusieurs localités, il exproprie jusqu’aux pâturages des animaux, au mépris du droit le plus élémentaire. C’est par exemple le cas dans les environs de Dar El Barka où le bétail, privé de pâture, pénètrera, forcément, dans les zones protégées. Encore faudrait-il que ces dernières existent encore. Tout comme les cimetières, elles sont le plus souvent également attribuées aux spéculateurs. Une mise sous coupe réglée qui empêche tout développement de l’agriculture et l’élevage vivriers, sources exclusives de revenus dans ces zones.

A Diatar, les populations ne disposent plus, autour de leur village, que d’une bande de quarante mètres d’espace vital. A Donnaye, on part enterrer les morts au Sénégal. Dans la plaine de Boghé, on a bloqué, à dessein, l’irrigation naturelle des terres cultivables qu’on a vendues à des Marocains. En réalité, on se moque de la nature et même de la nature humaine.

«C’est une politique, non seulement, de spoliation inacceptable, mais aussi sauvage de gestion insensée de l’espace qui ne tient aucun compte des besoins élémentaires de la nature et de l’homme», fulmine encore M. Ba.

Pour avoir dénoncé cette situation, en novembre 2014, lors d’une caravane menée dans le sud mauritanien, destinée à sensibiliser les populations sur les questions foncières et la législation rurale en rapport avec l’esclavage, Biram Dah Abeïd, président d’Ira-Mauritanie, son vice-président Brahim Bilal Ramdhane et Djiby Sow, président de Kawtal N’gam Yellitaaré, ont été condamnés, le 15 janvier, à deux ans de prison ferme, au seul motif de «désobéissance à l’autorité». Celle-ci ne pouvait pas mieux avouer son implication dans l’exploitation éhontée du terroir et des populations en Mauritanie…

THIAM Mamadou

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *