Procès de IRA : Peines taillées sur mesure… politique

En entamant la conférence de presse qu’il animait dans les locaux du FONADH, jeudi 18 août 2016, le collectif des avocats de défense des détenus d’IRA s’attendait certes à des condamnations, mais pas de cette ampleur. La composante négro-africaine d’IRA, en l’occurrence Diop Amadou Tijane, Moussa Birame et Abdalla Sow ont écopé des plus lourdes peines, 15 ans de prison fermes.

Les autres détenus ont écopé entre 3 et 5 ans de réclusion. « Que les condamnations aient été d’un jour ou de vingt ans ne change rien, car nous avions affaire à un procès politique dont la finalité est connue, mater le mouvement IRA par justice interposé » dira Me El Id, l’un des avocats défenseurs.

Des lois pour la consommation extérieure Me Brahim Ebetty dira dès l’entame de la conférence de presse, que deux violations flagrantes de la loi et des procédures ont servi d’emblée d’avertissement aux avocats et à l’opinion publique, que le procès des activistes d’IRA qui s’ouvrait n’en serait pas un. Ces deux violations provoqueront la sortie des avocats de la défense et leur boycott des audiences suivantes.

Il s’agit d’abord, selon Me Ebetty, du refus de la cour de connaître des actes de tortures dénoncés par les prévenus qui ont déclaré avoir été soumis à toutes sortes de traitements cruels et dégradants durant leur interrogatoire à la police. Le juge a même refusé, selon les avocats, d’engager les procédures requises suite à la plainte dûment formulée par les prévenus contre leurs tortionnaires (2 commissaires de police, 1 inspecteur de police, deux brigadiers chefs, 1 brigadier et deux agents nommément cités).

Elle s’est dite incompétente, alors que selon Me Lô Gourmo, « les magistrats mauritaniens sont tenus par la force de la loi locale et des conventions sur la torture à se saisir de toute allégation de torture dénoncée par un prévenu ».

Cela est d’autant plus flagrant, dira le collectif des avocats, que la Mauritanie est le seul pays au monde à avoir relevé la torture dans son texte fondamental, la Constitution, en crime contre l’humanité. « Mais il est clair que cette disposition est prise juste pour la consommation extérieure et non pour protéger les citoyens mauritaniens » fera remarquer Me Gourmo.

Il trouve d’ailleurs la dérive de la justice et son instrumentalisation par le pouvoir Exécutif de dangereux car « plus aucun citoyen ou résidant en Mauritanie n’est à l’abri d’une injustice judiciaire » ajoutera-t-il.

Procès cinéma

Deuxième violation, cette fois sans équivoque selon les avocats, l’autorisation donnée au Procureur de la République de diffuser un film, alors que l’article 278 du Code de procédure pénale mauritanien, interdit toute diffusion sonore ou audiovisuel dans les tribunaux. Cette pièce en outre, selon les avocats n’avait pas été versée dans le dossier ni communiquée aux avocats avant l’audience, selon les principes juridiques.

« Vu que la seule base de débat entre les avocats et les magistrats dans une cour de justice, repose sur le respect de la loi, les premiers ne peuvent en aucun cautionner un procès où cette dernière est piétinée sans vergogne par ceux-là qui doivent dire le droit et rien que le droit » dira Me Brahim Ould Ebetty.

Assez suffisant selon lui, pour que le collectif sur la demande de leurs clients se retire de « cette mascarade de justice ». Les avocats diront que la cour ne s’est même pas gênée, heureuse de s’être débarrassé de témoins peu amènes, pour « faire leurs affaires aux détenus d’IRA ». Dans une lettre adressée au président de la Cour, les détenus d’IRA ont affirmé avoir été à l’origine du retrait du collectif des avocats qui assuraient leur défense.

« C’est bien nous qui leur avons demandé de ne pas nous défendre si la loi n’était pas respectée. Or, l’article 278 du Code de procédures pénales a été clairement violé. Nous ne craignons absolument pas le visionnage de ce grossier montage, mais nous tenons à ce que la loi, toute la loi et rien que la loi soit respectée » ont-ils écrit.

Ils ont refusé par la même occasion toute autre défense qui leur serait imposée par la Cour avant de conclure : « nous n’avons plus confiance en cette cour qui a refusé de prendre en compte notre plainte pour les faits de torture dont nous fûmes victimes. Pourtant, nous voyions en votre formation une chance qui nous était offerte pour que justice nous soit rendue ».

Autre fait inédit relevé par les avocats à la suite des verdicts prononcés dans cette affaire qui est allée de report en report d’audience depuis le 3 août dernier, le fait que « les dix personnes des familles déguerpies de la Gazra Bouamatou, prises pourtant en flagrant délit pendant les évènements incriminés, soient acquittées et que ceux qui avaient été cueillis individuellement à leur domicile soient lourdement condamnés ».

Les avocats en ont vu d’autres

Pour Me Brahim Ebetty, le combat du collectif continue. « Nous disposons de plusieurs recours et de plusieurs moyens pour faire rétablir le droit. C’est notre combat mais aussi celui de chaque Mauritanien ». Le doyen des avocats rappelle que des procès pareils, il en a vu de pire, dans les années 80 et 90, notamment avec le procès des Baathistes.

« Ce n’est pas la première fois que nous boycottons des mascarades de procès que nous gagnons par la suite » dira-t-il. Selon lui, « ce qui vient de se passer dans le procès dit de la Gazra Bouamatou est clair, on a cherché les militants d’IRA » Certains observateurs sont allés plus loin. Pour eux « c’est l’élément négro-africain du mouvement qui était le plus visé, pour opérer la cassure avec l’élément haratine ». D’autres ont carrément ironisé en parlant de « Verdicts de Saad » par allusion à un billet que ce dissident d’IRA, accusé d’être derrière cette machination, avait écrit il y a quelques jours et où il demandait l’acquittement pour les dix personnes de la Gazra de Bouamatou.

Le vice-président d’IRA, Brahim Bilal Ramadan avait assisté à la conférence de presse, tout comme le président de SOS Esclaves et membre du Mécanisme national de prévention contre la torture, Boubacar Ould Messaoud. « Parmi tous les membres de ce mécanisme, c’est le seul qui a cherché à faire son travail, mais seul il ne pouvait rien faire » dira Me Brahim Ebetty qui a déploré l’incurie du président de cette structure créée durant la visite en Mauritanie du Rapporteur Spécial des Nations Unies chargées de la Torture. « Dans une déclaration récente, le président du Mécanisme national de prévention contre la Torture a déclaré ne pas être au courant d’aucun acte de torture et de n’avoir reçu aucune plainte, alors que sa mission est de dénicher tout soupçon, toute rumeur de torture et non pas d’attendre qu’on les lui apport sur un plateau d’argent » a fait remarquer un avocat.

Comble d’ironie rapporte Me Fatimata MBaye, le greffier de la cour pénale aurait refusé d’enregistrer la demande d’Appel formulé par les avocats de la défense, une première dans les annales des greffes, dira Me Gourmo.

Enfin, les avocats se sont également interrogés sur la politique de deux poids deux mesures dans le traitement des détenus d’IRA. « Alors que la Cour d’Appel vient de demander l’ouverture d’une enquête pour tortures sur plainte de prévenus dans une affaire de drogue (les Haidalla fils), on refuse la même requête pour des détenus d’opinion ».

Pour le collectif des avocats, le procès des détenus d’IRA a été de bout en bout un procès politique où les magistrats du siège ont suivi le parquet et le ministère public dans toutes ses requêtes, allant jusqu’à mettre de côté la loi et le droit. « Si dans les années 80 et 90, notamment le procès d’Ahmed Daddah et celui des Baathises et bien d’autres procès, le ministre de la Justice avait élu domicile dans le Palais de justice, dans celui des détenus d’IRA, il suivait les débats à la minute par son téléphone » a conclu Me Ebetty.

Il faut rappeler que tout a commencé le 29 juin 2016. Environ 500 familles haratines qui squattaient depuis plus de dix ans un vaste terrain au Ksar ont été prises d’assaut par plusieurs policiers accompagnés du préfet du Ksar.

C’était à quelques jours de l’organisation du Sommet Arabe à Nouakchott et les autorités voulaient embellir la ville et la débarrasser de toute laideur. Les familles qui n’avaient pas de point de chute et se voyaient jeter dans la rue, refusent d’obtempérer.

Les forces de police se chargèrent de les faire déguerpir et les engins amenés pour la circonstance commencèrent à détruire les habitats précaires faits de bois et de bande de tissus. Les jeunes de la Gazra ripostèrent à l’humiliation. Dans la confrontation, plusieurs policiers sont blessés et un car de la police brûlé. Une dizaine de jeunes parmi les manifestants sont arrêtés.

Les jours qui suivirent, la police procéda à l’arrestation de plusieurs leaders d’IRA, accusés d’avoir pris part aux manifestations. La justice les accusa de flagrance délit et retint contre eux plusieurs charges, dont « rébellion armée et non armée contre les forces de l’ordre, agression, appartenance à une organisation non reconnue… »

Liste des détenus condamnes d’ira
15 ans
Diop Amadou Tijane
Moussa Birame
Abdallahi Sow

5 ans
Hamady Lehbouss
Mohamed Hamar Vall
Balla Toure

3 ans
Mohamed Daty
Lo Ousmane
Mohamed Jarallah
Anne Ousmane
Abdoulaye Abou Diop
Khattry Rahel
Jemal Bleil
Abdallahi Maatalla

Seules deux personnes membres des familles de la Gazra sur les dix arrêtées sur les lieux des incidents ont été condamnées, l’une à 2 ans et l’autre à 3 ans. Les autres ont été acquittées.

http://lauthentic.info

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