Forum Régional Africain pour la libération de l’esclavage Kigali, Rwanda, 21-25 novembre 2022 : Communication de Biram Dah Abeid

Bonjour, mesdames et messieurs, chers participants !
Citoyen de la République Islamique de Mauritanie, je viens du Sahel, une contrée de l’Afrique qui a hérité, depuis avant l’islamisation et la colonisation, de communautés structurées sur l’inégalité de naissance, l’endogamie et l’esclavage. Dans les sociétés du Sahel-Sahara post-islamisation, les groupes dominants fondèrent leurs règles de préséance sur l’esclavage et transposèrent les textes, de droit « musulmans », à leurs modes de vies, bien antérieurs à l’Islam; néanmoins, l’adaptation de la nouvelle religion, aux rapports de supériorité, engendrera la légalisation des pratiques d’inégalité de naissance, qui connaîtront, alors, un essor historique, géographique et culturel. Le commerce négrier vers les Amériques est venu, dans la foulée, pour enraciner et figer, jusqu’à nos jours, un lien de domination où s’insinue le racisme anti-noir ; l’hémorragie du Continent, à travers les pistes des traites transsahariennes ainsi que celles d’Afrique du Nord, du littoral Swahili et de la mer Rouge, se trouva renforcée et dépassée par la version atlantique et triangulaire. Le déplacement forcé des populations jeunes devient plus actif et massif, renforçant davantage l’impact de l’esclavage et de ses manifestations dans les sociétés du Sahel-Sahara.
La colonisation française utilisera deux procédés différents face à la persistance du problème en Afrique. Le premier procédé s’adresse, d’abord, aux autochtones subsahariens et adopte le choix de la répression, quoique de manière souvent molle. Le deuxième vise plutôt les groupes Arabe, Touareg et Maures, des peuples que la littérature coloniale sublimait et appelait « les hommes bleus ». L’esclavage en leur sein a été largement toléré et même concédé par l’administration coloniale. Ainsi, les responsables de l’occupation niaient l’existence d’esclaves et préféraient parler de « captifs » : aujourd’hui, la ligne politique et diplomatique de négation de l’esclavage qu’adopte la Mauritanie et d’autres pays du Sahel est un héritage du colonialisme français. Tous les dirigeants de l’Afrique indépendante sont tombés dans le travers du négationnisme, attitude qui fera, des esclaves chez nous, les vrais laissés-pour-compte de la colonisation et de la décolonisation, dans le même temps.
Plus que tous les pays sahéliens dont les sociétés vivent l’esclavage coutumier et de castes comme un trait culturel, la Mauritanie, continue de fonder le mode de vie d’une importante partie de l’élite arabo-berbère dominante, sur l’exploitation de l’homme par l’homme, notamment le travail non-rémunéré et indécent, sans omettre la séparation des familles serviles, le trafic des enfants et des femmes; le droit de s’approprier le corps d’une esclave et la légitimation du viol ancillaire ponctuent la déshumanisation des victimes. Aussi, devant le caractère scandaleux de la question, l’oligarchie esclavagiste qui dirige la Mauritanie, adopte, désormais, la duplicité de sa diplomatie, à l’endroit du droit international public. La ruse consiste à ratifier toutes les conventions possibles et imaginables sur l’esclavage et les trafics des personnes, édicter des lois nationales de coercition, capter les fonds destinés aux colloques, ateliers et autres programmes de prévention et formation, voire créer des tribunaux ad-hoc. A un autre niveau de traitement oblique du phénomène, il s’agira de nommer des cadres ou personnalités issus des milieux serviles, au sein du gouvernement et de la haute administration, en leur assignant la mission de témoigner contre le réel ; in fine, des institutions comme la Commission nationale des droits de l’Homme (Cndh), le Commissariat éponyme et le Mécanisme national de prévention de la torture (Mnp) bénéficient de financements, en vue de saturer la sensibilisation contre l’esclavage, au détriment de la sanction pénale; certains diplomates, représentants des pays du monde libre ou des institutions internationales, accompagnent parfois ce carnaval d’enfumage. Cependant :
1- L’Etat mauritanien assure l’impunité totale dans tous les dossiers de crimes avérés d’esclavage : Les plaintes de la petite Ghaya Maiga, Mariem Cheibani et ses filles, deux exemples parmi plusieurs, qualifiés de contrainte esclavagiste par le Parquet et la police, sont sabotées, sur injonction du pouvoir ; juges d’instruction, messieurs Outhmane Mohamed Mahmoud, Moctar Ahmed Dah et Moulaye Ahmed Mohamedhen s’abstiennent d’appliquer la loi, en dépit même des insuffisances de celle-ci. De surcroît, les autorités se gardent de porter assistance matérielle et psychologique, aux personnes à présent émancipées, d’où le retard de leur réinsertion dans une société de normalité moderne. Aucun bourreau n’est exproprié au profit de ses esclaves, malgré des siècles d’humiliation et de violence, y compris le viol des servantes et des cas de mutilations parmi le cheptel masculin.
2. Le gouvernement exerce l’ostracisme contre l’Ong Initiative de résurgence abolitionniste en Mauritanie (Ira-M) ; la punition survient en réaction à notre volonté de ne pas accepter de compromission avec les violations de la dignité minimale des gens : depuis le passage du Rapporteur spécial des Nations Unies sur les formes contemporaines de l’esclavage, à Nouakchott et sa rencontre avec nous, les proches du Président de la république islamique de Mauritanie ont enclenché la diabolisation de l’Ira-M et de ses dirigeants ; nous voici sanctionnés au motif d’avoir livré, à notre interlocuteur onusien, notre part de vérité, en somme un diagnostic sévère mais fidèle quant aux discriminations envers les noirs de Mauritanie. Celles-ci se manifestent encore dans la rue, visibles à l’œil nu, à tous les échelons de la vie civile et à l’intérieur de l’appareil d’Etat. Justice, commandement militaire et de sécurité, économie, banques, tenure des terres de culture, diplomatie et office religieux illustrent la vivacité et la permanence de la ségrégation.

3. Le seul parti capable de créer l’alternance dans mon pays, le parti pour la Refondation et une action globale (Rag), est interdit parce qu’il projette, en vertu du vote libre et de la non-violence, le démantèlement du système d’hégémonie raciale et l’instauration d’un État de droit où la citoyenneté égale et unique, la pluralité ethnique et linguistique, le bannissement de l’obscurantisme et la gouvernance économique transparente sont parmi les orientations principales.
Mesdames et Messieurs, honorable assistance, je vous invite à davantage suggérer aux organismes gouvernementaux et non gouvernementaux accrédités en Mauritanie d’être plus vigilants aux fins de mieux s’imprégner du scandale de l’impunité et de la duplicité et d’en documenter le fil et les manifestations. Nous comptons sur vos observations et propositions pour notre action en vue du règlement définitif, au nom du devoir de solidarité universelle, en face de l’ignominie que je viens de décrire.
Je vous remercie.

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