Adrar: Affaire Moulkheïr

Moubarak Ould Mahmoud notre coordinateur en Adrar et moi-même avons accompagné Moulkheir et son frère ainé M’Bareck  pour poser son problème au Ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation. Ce dernier  nous a  reçus le 18 février 2010 dans son bureau. Ainsi, il a pu entendre de la bouche de Moulkeïr le calvaire qu’elle a connu sa vie durant, chez ses maîtres Ehel Boulemsak  et ce qu’elle a continué à subir  même après que la gendarmerie l’a   soustraite  à leur joug ; elle a décrit le travail forcé, la violence physique et symbolique infligées, selon elle, par  le colonel de gendarmerie à la retraite, Vouyah Ould Mayouf en personne.

Qui est donc Moulkheïr ?

En décembre 2007 Mboïrik un habitant de Yaghrev à informé notre section de l’Adrar qu’une une famille d’éleveurs de caprins et de camelins dénommée Ehel Boulemsak possède  une esclave terriblement maltraitée et exploitée.

Nous avons demandé alors à nos sympathisants d’approcher cette pauvre dame pour mieux connaître sa situation. , Ils ont répondu avoir mené plusieurs tentatives en ce sens mais en vain car elle était surveillée par ses maitres ; ceux-ci lui interdisaient toute relation extérieure, particulièrement avec nos sympathisants d’ailleurs bien connus à cause de leur action de sensibilisation contre les pratiques de l’esclavage.

Nous avons dépêché un élément, Radhi Ould Matalla d’Atar qui s’est installé chez Mboirik ; il a retrouvé Moulkheïr dans les conditions conforme aux alertes reçues plutôt. Nous ne pouvions alors rien faire dès lors qu’elle-même ne semblait pas consciente de la nécessité de se libérer de son aliénation.

De sa situation, un rapport à été adressé au bureau de SOS-Esclaves à Nouakchott. Ainsi, lors d’un meeting organisé à Atar par la commission régionale de sensibilisation, Sidaty Ould Demba, représentant de SOS-Esclaves, dans cette instance, soulèvera le cas de Moulkheir comme un exemple emblématique de pratique esclavagiste, sciemment ignoré par l’Administration publique.

Ould Demba été démenti par les autorités qui l’ont menacé de poursuite pour « dénonciation calomnieuse ». Convoqué, notre  responsable, au niveau de la Wilaya, Moubarak Ould Mahmoud, en dépit des menaces, a soutenu, devant les gendarmes, que l’information a été donnée par lui à notre représentant et qu’il en assume l’entière responsabilité. Les gendarmes ont préféré se rendre sur les lieux à Yaghrev  mais refusèrent la présence des militants de SOS Esclaves.

Le lendemain, le procureur de la république convoque Moubarak Ould Mahmoud, le responsable de la section de SOS-Esclaves et lui annonce qu’il vient de recevoir un rapport de la gendarmerie relatif à une femme de Yaghrev, prétendue esclave. Le magistrat lui demande s’il est au courant de cela. Moubarak Ould Mahmoud répond par l’affirmative. Le procureur lui réclame les détails.

Ensuite, le procureur l’autorise à repartir et promet de le rappeler. Deux années s’écoulent alors sans que ni les organes exécutifs de l’Etat ni l’appareil judiciaire ne réagissent, à quelque niveau que ce soit.

L’affaire rebondit, d’elle-même, en février 2010.

Le 8 février, notre représentant à Atar nous informe que Moulkheïr a refusé, la veille, d’accompagner le Colonel Vouyah Ould Mayouf, « son maître », venu la prendre pour la faire travailler, comme à l’accoutumée, sans rémunération et sous la contrainte. Pour ce, il est allé, en l’absence de Moulkheir, enlever ses filles en otage, persuadé qu’elle les suivrait. Or, Moulkheir a choisi d’aller enfin se plaindre et en informa son frère Mbarek. Saisis de la situation par ce dernier, les éléments de SOS Esclaves résidents à El Aïn se rendent auprès de la victime; l’un d’eux, Mohamed Ould Souélim, rejoint par Ahmed Ould Khaïrallah, l’accompagne à la commune ; le préfet d’Atar s’implique aussitôt et fait appel à la gendarmerie ; en début d’après midi, des hommes en uniforme embarquent Moulkheir dans leur véhicule.

Parallèlement à l’accompagnement de Moulkheir sur place, j’ai moi-même  obtenu une audience avec le ministre de l’intérieur et de la décentralisation qui m’a reçu le 8 février. Informé de la situation, le ministre a immédiatement saisi le Wali pour enquête et compte-rendu.

Enfin, engagés par leur hiérarchie, les gendarmes sont venus prendre Moulkheir dans leur voiture avec Ahmed Ould Khaïrallah et Mbarek Ould Mahmoud, de la maison où elle était hébergée et les ont déposés au poste de Rass Tarf. Quelques instant plus tard, le commandant de la brigade d’Atar arrive, avec, dans sa voiture, deux autres esclaves femmes, des fillettes, en l’occurrence Fatma dite Kounadi et Mbarka, suivies d’une autre voiture conduite par Vouyah Ould Mayouf ; à ses cotés apparaissent Selekha et le berger dénommé Mboïrik Ould Limam.

Selon Selekha, Vouyah la présente toujours comme l’épouse de l’esclave berger mais disposerait d’elle à sa guise.

Toujours est-il que, sur le terrain, notre représentant Ahmed Ould Khaïrallah et Mbarek Ould Mahmoud qui n’ont pas été accepté dans la voiture de la gendarmerie où voyageaient Moulkheir et ses deux filles à Atar. Ils ont pu cependant suivre à bord d’un autre véhicule qui les a déposés à la porte de la caserne de la compagnie de gendarmerie ; là, la sentinelle leur interdit d’approcher.

Cette attitude s’avère très courante dans le comportement des gendarmes et policiers qui ne reconnaissent aucun droit d’assistance et d’accompagnement à nos militants en dépit du premier paragraphe de l’article 15 de loi n° 2007 – 048  portant incrimination de l’esclavage et réprimant les pratiques esclavagistes, lequel dispose : « Toute association des droits de l’homme légalement reconnue est habilitée à dénoncer les infractions à la présente loi et à assister les victimes de celles-ci. ».

En vertu de cet attendu,  j’ai demandé, à notre section de l’Adrar, d’assister Mbareck Ould Mahmoud frère de la victime et de nous décrire les circonstances de l’enlèvement des enfants de sa sœur, le traitement et les sévices que leur ont infligés les Ehel Boulemsak jusqu’en fin décembre 2007 et, des deux dernières années, les mauvais traitements par le colonel de gendarmerie à la retraite, Vouyah Ould Mayouf.

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Dessus, Moulkheïr, enfin libre, avec ses autres enfants – Ben’Ich, Yarba , Vatma et Mbarka

Ainsi, suivra une déclaration stigmatisant l’exploitation subie par Moulkheir et ses enfants  et le comportement inavouable de Vouyah envers eux. Par ce document, Mbarek et notre antenne d’Atar, réclament, de retourner à sa mère, Selekha, une enfant mineur, âgée vraisemblablement, comme elle le dit, au plus de 15 ans et point de 18 ans comme le claironnent ceux qui veulent la faire passer pour adulte, responsable de « ses actes ».

Aujourd’hui, Selekha est parmi nous, à Nouakchott, depuis le 11 mars ; c’est une enfant, abusée.

L’ensemble des faits énumérés plus hauts ont été rapportés, séance tenante, au Ministre, Mohamed Ould Boïlil, lequel, visiblement, était très affligé par le récit de Moulkheir.

En réponse à Moulkheir, il a tenue à la rassurer : elle n’est plus l’esclave de personne, l’esclavage est effectivement aboli et incriminé par une loi.

Sur les différents points évoqués par la femme victime, notamment la situation de servitude vécue, la violence et la torture subies, l’usurpation de ses biens, le travail forcé auquel elle était soumise, elle et ses enfants, la séquestration de sa fille aînée Selekha, le Ministre ne se prononcera que sur ce dernier point.

Selon lui, celle-ci serait en situation maritale et il s’empresse de le vérifier, immédiatement, par téléphone, auprès du Wali de l’Adrar auquel il demanda si, effectivement, Selekha est mariée et depuis quand.

A l’adresse de Moulkeïr, il ajoute : Dans la mesure où sa fille n’est pas en ménage, il va la faire chercher pour la lui remettre ; en revanche, si l’inverse se présente, il ne pourrait rien faire car incompétent à rompre ce genre de lien, au contraire des tribunaux.

Il précise son intention de saisir le Commissaire aux Droits de l’homme à l’Action Humanitaire et aux relations avec la Société Civile afin d’obtenir,  pour Moulkheïr, une aide et une assistance substantielles.

Il s’engage, enfin, à rester en relation téléphonique avec Boubacar Messaoud, Président de SOS Esclaves Mauritanie.

–          Le 21 février  aux environs de 14 heures, il m’a téléphoné pour m’annoncer qu’il a reçu dans un rapport qui est devant lui, la confirmation du mariage de la fille avec un berger ; l’union remonte à une semaine ou un peu plus !!!!

Poursuivant l’action d’assistance, Ahmed Ould Khaïrallah le militant qui soutenait Moulkheir  en Adrar, El Maloum Ould Mahmoud, notre représentant dans le Hodh Echarghi et moi également  avons accompagné, au Palais de justice, Moulkheïr , son frère Mbarek et Mbéghiya Mint  Saïd  venue  de Timbédra pour trouver écoute et assistance, dans des recherches au sujet de son fils berger disparu. Nous avons  été reçus, à ma demande, le 3 mars 2010, vers 11 heures, par monsieur Seyid Ould Ghaïlani, le procureur général près la Cour suprême, assisté de deux de ses substituts, dans son bureau. Il  a écouté avec attention le récit des faits relativement à chacune des dames présentes et manifesté beaucoup d’égards à nous tous. Il  nous a donné l’impression de prendre tout cela au sérieux.

A la fin de l’entretien, il a recommandé, à Moulkheir, de faire une procuration pour son frère Mbarek afin que celui-ci, une fois à Atar, dépose des plaintes contre les personnes citées  et demande l’annulation du mariage.

Le cas de Selekha

Aujourd’hui,  Selekha profitant, nous révèle-t-elle, de l’absence de Vouyah parti en voyage,  a pu tromper la vigilance de la personne qui veillait sur elle et contacté nos éléments ; ces derniers l’ont mise dans une voiture pour Nouakchott où elle est venue rejoindre sa mère.

Elle est parmi nous, nous pouvons affirmer que c’est une enfant.

Selekha, la fille ainée de Moulkheir, a vécu deux ans dans la famille de Mohamed Lemine Ould Abdel Jelil Ould Kleïb, un gendarme à la retraite dit-elle; elle a été ainsi séparée de sa mère et  accompagnait sa maitresse Khdeïja Mint Abdallahi Ould Boulemsak, épouse de Mohamed Lemine, pour la servir en qualité de domestique (ménage, lessive, commissions variées), sans aucun salaire, bien entendu.

Ceux-ci ne l’ont pas inscrite à l’école ; ils lui ont appris  par cœur quelques versets de Coran qu’elle ne récite pas très bien ; elle ne sait ni lire ni écrire.

Au même moment où la gendarmerie a séparé Moulkheir des Ehel Boulemsack, quelqu’un est venu, en pleine nuit, prendre Selekha pour la déposer, à Yaghrev, auprès de sa mère.

Depuis 2008,  Selekha est exploitée par Vouyah Ould Mayouf ; au départ, il lui promettrait un salaire de 15 000 UM, selon elle effectivement versé le premier mois ; depuis, il ne lui aurait jamais plus donné aucun sou, pendant prés de deux ans.

Elle a subi toutes les humiliations ; comme sa mère et ses petites sœurs, elle a été battue

Elle affirme avoir été violée par Vouyah, tout le long de ces deux années. Toutes sortes manipulation auraient été menées, par lui, pour masquer son forfait : en 2009, quand Selekha  s’est avérée enceinte de lui, il a voulu la donner en mariage à un berger du nom de Youba, Hartani des Lechiakh mais celui-ci s’est rendu compte de son état et a refusé. Après le refus de Youba de rentrer dans son jeu, Vouyah a tout simplement  mis Selekha et sa mère  dans la caisse de son véhicule Pick up pour les conduire, en pleine nature, durant plus d’une heure de  cascades et d’acrobaties ; selon Moulkheir, l’avortement de Selekha à l’hôpital d’Atar résulte de cet acte prémédité.

Selon Selekha, Vouyah n’a jamais cessé d’abuser d’elle et cette nouvelle affaire de mariage a servi de prétexte pour ne pas la remettre à sa mère par la gendarmerie avec les autres enfants.

Pour Selekha, enfin venue à Nouakchott rejoindre sa mère le 11 mars, le mariage dont Vouyah, les gendarmes et le Ministre semblent tant tenir compte n’a été contracté que sept jours plus tard.

En effet, Selekha raconte son sort quelques jours après le départ de sa mère vers Nouakchott : Vouyah l’a appelée pour lui dire qu’elle est maintenant mariée avec son nouveau berger recruté depuis deux mois. Il se nomme Mboïrik Ould Limam, originaire de Timbédra où il aurait laissé son épouse. Selekha soutient, qu’avant cette annonce par Vouyah, personne ni lui, ni ce berger n’est venu la consulter encore moins demander sa main.

 

Après qu’elle a passé une semaine à dormir chaque nuit avec cet homme, Vouyah a remis à Selekha 10 000 UM au titre de dot. Deux jours plus tard, le berger reprend son rythme normal de travail de cinq jours avec les animaux dans les pâturages pour ne revenir pratiquement que deux jours par semaine. Pendant ce temps, Vouyah continuerait à coucher avec cette enfant, âgée tout au plus de 15 ans selon sa mère et son oncle Mbarek.

 

Interrogées, les autres filles Mbarka (environ 12 ans) et Fatma dite Kounadi (environ 10 ans) affirment que Vouyah a abusé d’elles. Sa préférée serait Kounadi car de teint clair comme Selekha.

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Ici, Selekha, fille de Moulkheïr, à Nouakchott, après sa libération

A ce niveau de nos démarches, nous estimons le cas typique d’esclavage par ascendance ; Moulkheir et ses enfants l’ont subi, doublé d’une situation de traite des personnes et de violences sexuelles.

Ici, dans un contexte de criminalisation de l’esclavage, l’on ne comprend pas que les pouvoirs publics ne s’impliquent pas de manière conséquente afin de traiter au moins les cas évidents qui leur sont soumis et mieux connaitre et publier la vérité, sans complexe ni mauvaise foi.

En effet, il nous paraît inconcevable qu’un Ministre la République, devant un contentieux de 2007 déjà, ne  puisse pas comprendre qu’il se trouvait face à un cas de faux mariage, contracté dans le but de travestir la vérité, pour circonvenir le décideur !!! Manifestement, nous observons, de la part des autorités mauritanienne, un refus d’intervenir équivaut, de facto, à la complicité avec les auteurs de pratiques esclavagistes.

A la lecture des déclarations de Selekha et des trois filles de Moulkheïr, il apparait qu’elles ont été victimes de :

-spoliation de biens (les chèvres de Moulkheir)

-pratique de travail forcé ;

-travail d’enfants ;

-non inscription à l’école ;

-abus sexuels sur enfants mineurs ;

-mariage forcé.

Il est certain, qu’en 2007, les gendarmes et les autorités locales de l’Adrar sont susceptibles d’avoir caché, sciemment des pratiques d’esclavage et gêné la manifestation de la vérité ; il s’agirait, en l’occurrence, de connivence expresse avec les auteurs de crime qualifié dont l’Etat mauritanien porterait une part de responsabilité, en sa qualité de garant du respect des lois.

Aussi, appelons-nous les partenaires économiques de la Mauritanie et les institutions spécialisées dans le monde, à se pencher, de près, sur le refus, par le gouvernement, d’appliquer les instruments de droit international ratifiés en l’espèce, de même que la loi de 2007 portant répression de l’esclavage. Nous en appelons au sens moral de toutes les personnes pour qui réduire un humain à la servitude constitue encore un motif d’indignation et de solidarité.
 

Boubacar Messaoud  Président de SOS-Esclaves

 

Nouakchott le 22 mars 2010